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Lors de l’Exposition universelle de Paris de 1867 puis lors des fêtes du cinquantenaire de l’Annexion en 1910, les différents costumes des provinces de Savoie sont encore bien présents : affiches et cartes postales mettent en avant la diversité des traditions vestimentaires. Le costume féminin de Haute-Tarentaise commence cependant à être davantage représenté. Il est notamment mis en exergue dans une célèbre carte postale (Fig.1) où une femme en robe blanche et couronnée de laurier, allégorie de la Patrie, s’enveloppe dans le drapeau français avec une jeune Tarine symbolisant la Savoie, coiffée de la frontière. Cette coiffure, portée par les femmes de quelques communes au-delà de Moûtiers et en amont de Tignes[1] devient ainsi progressivement l’emblème de toute la Savoie.
Ce bandeau ou diadème à trois pointes encadrant le visage dans une forme de cœur est très différent des autres coiffes de Savoie, ce qui lui assure une origine assurément mystérieuse et prestigieuse. Facilement reconnaissable, la publicité comme les objets souvenirs s’en emparent dès les années 1930. Le graphisme, loin de s’attarder sur une représentation détaillée des costumes, porte une attention particulière aux coiffes identifiables et simplifiables. Comme le grand nœud noir de l’Alsacienne, la haute coiffe blanche de la Bigoudène, le chapeau de paille de la Nissarde…, la frontière devient LA coiffe de Savoie[2], vantant ses charmes et attraits touristiques. Lors des Jeux Olympiques d’Albertville en 1992 Philippe Guillotel, costumier des cérémonies créées par le chorégraphe Philippe Decouflé, stylise la frontière sur de nombreuses tenues féminines (Fig. 2).
Devenue icône du territoire, la frontière ne cesse pourtant d’intriguer et d’interroger : d’où vient-elle ? Est-elle le produit d’un génie alpin ? un héritage aux origines immémoriales et insondables ?
Se pose la question – pour reprendre les perspectives d’Eric Hobsbawm et Terence Ranger[3] – de l’invention de cette coiffe traditionnelle : et si la frontière n’était qu’une coiffure à la mode du XVIIe siècle, période qui la voit apparaitre dans les sources écrites locales ? Après une rapide description de la frontière, de son port et de ses matières, nous examinerons l’apparition de la frontière en Savoie dans les archives, invitant à questionner la circulation des biens, des idées et des personnes dont les Savoyards en Europe.
- Une coiffure plus qu’une coiffe
La frontière, telle qu’on la connaît encore lorsqu’elle est portée « dans les règles de l’art »[4], est avant tout une coiffure, complexe, qui nécessite soit une dextérité incroyable pour parvenir à la mettre en œuvre sur soi-même, soit, dans la majorité des cas, de se faire coiffer (Fig. 3). Dans tous les villages où elle était portée, le nom de quelques femmes connues pour avoir coiffé les autres est encore vivace. Leur décès, lorsqu’elles n’ont pas pu transmettre leur savoir, a souvent contraint de nombreuses personnes à abandonner le port de la frontière, alors que d’autres l’ont conservée jusqu’à la fin du XXe siècle.
Les cheveux réunis en une couette dans la nuque sont divisés en deux puis serrés dans le tréchu, ruban de chanvre de 4 mètres de long et 1.5 à 2 centimètres de large, lui-même recouvert de cochenu ou vortôlliu, ruban de velours noir, anciennement de couleur, de 3.5 mètres. de long et 3 à 4 centimètres de large. Ces couaches ou couèches sont ensuite enroulées et fixées à l’arrière du bandeau à trois pointes avec des épingles à tête noire, parfois dorées, ou plus anciennement semble-t-il, colorées (Fig 4). La tresse de droite ne fait qu’un tour et celle de gauche en fait deux pour offrir une couronne bien rigide. Une certaine longueur de cheveux est donc indispensable, ce qui nécessite le recourt à des postiches appelés mensonges en crin, chanvre, rafia ou bandelettes de tissus[5].
Les femmes et fillettes portant une frontière se coiffaient en général pour deux semaines et ne changeaient alors que le bandeau. Plus sobre pour les jours de semaine[6], plus richement ornée pour les dimanches et fêtes, les couleurs, comme la qualité et la variété des matériaux employés synthétisent également le statut de celle qui la porte. Pour les travaux quotidiens, à la maison comme aux champs, pour se déplacer, les femmes se couvrent d’un mouchoir de tête, carré d’indienne en cotonnade fixé à la frontière par des épingles (Fig.5). Elles disposent également d’un châle de tête, lorsqu’il fait froid ou pour entrer à l’église, grand carré de lainage foncé ou d’étamine de laine, parfois brodé de fleurs colorées et frangé (Fig. 6). La nuit, elles retirent le bandeau et les épingles et conservent les couèches qu’elles inclinent, voire – selon certains témoignages – passent autour du cou.
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Le bandeau a semble-t-il évolué au cours des siècles. Avant 1860, les pointes étaient plus arrondies, l’échancrure moins prononcée… Si aujourd’hui les coiffes sont presque toutes de velours noir ou foncé et ornées de galons dorés ou argentés, les plus anciennes rivalisent de diversité et font éclater l’ingéniosité de celles ou ceux qui les ont élaborées. De plus, la structure de la coiffe elle-même a changée. Son aspect de serre-tête rigidifié par du carton ou par une fine pièce de cuir découpée semble avoir succédé à une forme plus souple, que les collectionneuses, collectionneurs ou familles qui en conservent appellent « frontière plate » (Fig.7). Il s’agit d’une bande de drap de laine coloré, recouverte de rubans et passementeries variés, qui se fixait par une épingle dans la nuque. La datation de ces pièces non mises en forme reste difficile mais l’analyse des textiles et de l’iconographie permet d’assurer qu’elles étaient encore ainsi portées dans la première moitié du XIXe siècle.
Selon les villages, des variations existent, tant dans la position de la frontière, des couèches qui peuvent être plus ou moins inclinées, arrondies, que dans le fait de les orner de cordettes, un nœud de ruban de passementerie assorti aux couleurs du bandeau. Une bride souple, ornementale, tombe esthétiquement sur le bas du cou. Elle est tissée ou tricotée, selon des motifs plus ou moins recherchés, avec des perles de rocailles colorées ou métallisées.
Ces différences, presque infimes pour un regard non initié, s’observent à la fois dans le temps et dans l’espace.
1.1 Attestées dans les archives à partir du XVIIe siècle…
Le mot frontière est employé par les notaires mais on lui préfère en francoprovençal, benda, bainda ou franges (c’est le cas à Aime au XVIIe siècle et à Longefoy au XVIIIe siècle). Il est à noter que le mot bande et ses variantes francoprovençales se retrouvent dans d’autres types de coiffures, ailleurs en Savoie, notamment en Maurienne et dans les Belleville, mais uniquement pour des coiffes de deuil[7]. Ce n’est pas sans rappeler la forme des certaines coiffes de deuil européennes du XVIe siècle (Fig. 8)
En Tarentaise, ces frontières apparaissent à partir de 1670 dans des actes notariés. Face au peu de documents écrits et disponibles pour le XVIIe siècle, il s’agit de redoubler de prudence pour espérer trouver où et quand cette coiffure est apparue pour la première fois. Sur la commune des Chapelles (autrefois La Chapelle) dans un inventaire de 1667 est mentionné « 3 frontières d’estamet » puis à Bourg-Saint-Maurice en 1668 « 6 frontières de drap avec garnitures ». Des « frontières de couleur » figurent dans des contrats de mariage à Aime dès 1672 mais aussi à Granier ou Longefoy… Elles ne semblent pas être les seules coiffes car il est fait mention de cornettes de satin, de coiffes de soie et de coiffes de toile blanche qui existent tout au long du XVIIIe siècle dans les communes de Haute-Tarentaise et sont même souvent dominantes. De plus, en l’état actuel des recherches sur le sujet, nous ne savons pas la répartition et l’usage des unes ou des autres. À la fin XVIIe siècle, les femmes de Haute-Tarentaise l’ont adoptée, elle se retrouve dans les contrats de mariage…[8]. Une des plus anciennes représentations (Fig. 9) figure sur une lithographie commandée à Augsbourg par Jean Martin Richermoz en 1724, marchand originaire de Peisey-Nancroix : devant l’oratoire du sanctuaire des Vernettes, avec la statue de Notre-Dame de Pitié, un personnage implore la Vierge et à droite une femme, coiffée de la frontière, recueille l’eau miraculeuse. L’abbé Trémey a décalqué l’image en 1874, à partir d’un original alors conservé à Aime[9].
Deux autres représentations anciennes sont mentionnées par Christiane Michel dans son article précédemment cité et sont conservées dans la commune de Sainte-Foy-Tarentaise. Il s’agit d’une part d’une peinture (fonds privé) datée de 1799 représentant Gabrielle Empereur, née Sallin, arborant une frontière « plus plate, moins échancrée, également ornée par la cordette ». La seconde est un ex-voto de 1830 provenant de l’oratoire des Arbais (près du Crôt) qui a été déposé dans la chapelle de la Mazure. Il montre un couple agenouillé : la femme à gauche du tableau, de profil, porte une « benda » ou frontière, très relevée à l’arrière et ornée de cordettes de couleur vive (Fig. 10).
Le repérage et l’analyse des ex-voto anciens conservés dans les églises et chapelles de Haute-Tarentaise, avec l’appui de la Conservation départementales des antiquités et objets d’art de la Savoie pourrait permettre de préciser si des représentations antérieures sont conservées.
1.2 Mais qui est forcément bien plus ancienne !
Confrontés à l’absence de données textuelles ou iconographiques permettant de retracer précisément l’histoire de cette coiffure propre à un territoire très restreint, les érudits locaux ont privilégié des origines lointaines ou anciennes, mêlant l’Antiquité et la Renaissance, faisant appel à la littérature, la peinture, la sculpture… Le besoin de légitimation de cette coiffe unique en Savoie et en France repose sur la recherche d’une origine forcément prestigieuse. « Les femmes affectionnent l’antique coiffure nationale, la frontière, enrichie de velours noir, de satin bleu, d’étoffes brochées or et argent »[10].
La première histoire convoquée fait remonter cette coiffe à l’époque romaine au temps où les Ceutrons, résidaient sur le territoire couvrant les cantons de Bourg-Saint-Maurice et Aime. La fille du chef, folle d’orgueil ne cessait d’admirer sa belle chevelure et excitait la jalousie des autres jeunes filles. Elle s’attira la colère du dieu et ses cheveux, à l’image de serpents, restèrent enroulés autour de sa tête… elle les cacha sous un voile mais un bandeau tissé d’or vint encadrer sa tête…
La seconde lie son origine à saint Colomban venu évangéliser les habitants de la Tarentaise. Les populations s’enfuirent dans les montagnes. Il les rattrapa et les changea en serpent. Ceux qui lui échappèrent tressèrent leurs cheveux en demi-cercle sur la tête…
Les origines ceutrones avancées permettent alors de justifier le territoire bien circonscrit concerné par le port de cette coiffe et la mise en relation entre peuplement, langue et costume se retrouve dans cet écrit de l’abbé Ducis en 1863 : « C’est précisément au-delà de ces limites que l’on retrouve encore les vieux Ceutrons dans le caractère physique et moral de la population, dans l’originalité du dialecte, dans le costume des femmes, et surtout dans cette coiffure appelée frontière (ornement du front) qui parait d’origine orientale »[11].
En 1956, Joseph Viguier[12], se réfère à Strabon qui au Ier siècle avant J.C. décrit une coiffe semblable à la frontière. C’est en fait la description de la coiffe des Ibères, un peuple qui ne s’est cependant jamais aventuré jusqu’à cette partie des Alpes occidentales. Par contre, cette peuplade aurait été colonisée par les Celtes, également présent en Tarentaise, et Christiane Michel[13] en poursuivant ses recherches en Espagne à la fin des années 1970, a trouvé « une technique absolument semblable à celle adoptée par les femmes de Haute-Tarentaise » et s’interroge sur une origine celtique qui aurait été préservée en Tarentaise et dans les Pyrénées. Viguier défend également cette origine celte, notamment après avoir observé des femmes portant le costume folklorique de Frise, au nord de l’Allemagne, zone d’où seraient parties, selon ses lectures, les migrations celtiques[14].
De plus, dans le monument de Nigria Marca à Villette (aujourd’hui au musée de la basilique d’Aime)[15], Viguier affirme, en s’appuyant sur les hypothèses d’Etienne Borrel[16] qui lui trouve une origine gallo-romaine, qu’« au-dessus de l’épitaphe sont gravés deux bustes, celui de la mère à gauche, à droite celui du fils ; la mère semble bien être coiffée de la « frontière » ; la pointe s’avançant sur le front et le tambour faisant le tour de la tête sont très apparents »… Force est de constater qu’il est difficile d’y reconnaitre une frontière mais plutôt l’implantation naturelle des cheveux sur le front, et leur volume.[17]
Dans les années 1970, les ethnologues qui relancent la recherche et la collecte des costumes régionaux, notamment au Musée Savoisien, privilégient les liens avec l’histoire de la mode. Ce sont les coiffures de Marie de Medicis, Marie Stuart (Fig. 11) ou de Marie Tudor, alors en vogue dans les cours européennes, qui retiennent leur attention, comme l’avaient déjà mis en avant certains auteurs dès le milieu du XIXe siècle : « Les femmes, presque toutes, se coiffent de la frontière nationale, enrichie de velours noir, de satin blanc, d’étoffes brochées d’or ou d’argent, et, sous cette coiffure, qui rappelle celle de Marie Stuart, leur beau type brille encore davantage »[18]. Gérard Collomb[19]trouve ainsi que la frontière présente une ressemblance avec « le chaperon en forme de cœur, l’attifet, porté par les femmes dans la seconde moitié du XVIe siècle, dans les cours européennes. Cette forme particulière de coiffe a été portée plus tard, au cours du XVIIe siècle dans la bourgeoisie, qui perpétuait ainsi des modes de la Renaissance. »
Ce transfert d’une mode de cour à une mode bourgeoise est confirmé par des historiens du costume : « au commencement du XVIIe siècle les femmes portaient encore un petit chaperon ou une coiffe de soie ; les veuves demeuraient fidèles au chaperon à pointe avançant sur le front, avec une conque plus réduite que celle de l’époque précédente. Toutefois la coiffure s’est aplatie : une frange de cheveux sur le front et deux bouffons crêpés sur les oreilles, les cheveux nattés et enroulés en chignon derrière ».[20]
Si le glissement des modes aristocratiques vers les classes populaires semble pertinent et souvent vérifié dans de nombreux domaines, il demeure cependant que l’aspect territorial et socioéconomique a été occulté par les différents auteurs qui ont cherché les origines de cette coiffe devenue emblématique. Pourquoi cette seule partie de la Savoie aurait porté cette coiffe à partir du milieu du XVIIe siècle s’il s’agissait d’une mode dérivée de la cour ? Quelle spécificité des habitants de ces communes de Haute-Tarentaise pourrait expliquer le choix de se coiffer ainsi alors qu’ils résident assez loin des centres aristocratiques et bourgeois ? D’où leur vient cette mode ?
C’est à la faveur du colloque ACORSO à Strasbourg en mai 2018 qu’une piste de recherche s’est esquissée. Au XVIIe et dans la première moitié du XVIIIe siècle, des bonnets et des coiffes à becs étaient portés dans l’espace germanique : à Strasbourg, en Flandre, en Suisse et dans plusieurs régions alémaniques.
2. À la mode de chez nous ?
Les historiens des migrations savoyardes ont identifié comme destination saisonnière, temporaire ou définitives des colporteurs et marchands textiles savoyards, « les Allemagnes » pour le XVIe siècle puis un espace germanique vaste au XVIIe siècle. Les habitants du Faucigny, du Val d’Arly et de la Haute-Tarentaise sont particulièrement représentés dans ces régions étrangères. Ces Savoyards participent aux courants commerciaux joignant les Pays-Bas et l’Italie par la vallée du Rhin. En effet, Paul Guichonnet avait ainsi analysé que « si les Alpins ont cédé à l’attraction alémanique, c’est qu’ils ont été aspirés par le courant commercial Nord-Sud joignant les Pays-Bas et la vallée du Rhin à la Haute Italie. L’impératif économique a eu ainsi raison des affinités ethniques et linguistiques »[21]. Ils ne choisissent pas la France, dont ils partagent pourtant la langue, mais l’attractivité commerciale les oriente au nord et outre Rhône et Rhin. Spécialisés dans le commerce du textile, ils ont, dès le Moyen Âge pour certains, mais surtout au XVe siècle, fréquentés villes et marchés et se sont frottés à des modes de pensée, des pratiques culturelles et des goûts qui ont forcément marqué leurs usages et leurs manières de se vêtir jusqu’à les ramener chez eux[22].
2.1 D’ici et d’ailleurs
L’émigration temporaire savoyarde se tourne notablement vers l’Alsace dès la seconde moitié du XVIe siècle. Le mouvement s’accroît au siècle suivant, lorsque les marchands savoyards suivent les armées françaises en Allemagne, et devient le plus fécond entre 1650 et 1750. Certains s’établissent alors provisoirement en ville afin de mieux alimenter leur commerce ambulant. L’émigration définitive est avérée lorsque les commerçants deviennent sédentaires et ont pignon sur rue. De brillantes dynasties de négociants savoyards sont ainsi fondées à Fribourg-en-Brisgau, à Francfort, à Munich, à Vienne, à Bâle… Nombreux sont ceux qui s’installent en Allemagne du Sud et en Suisse alémanique, tandis que d’autres, en grand nombre, se fixent dans le Pays de Vaud, en Valais, en Franche-Comté, en Lorraine, en Alsace… Savoyards et Valdotains sont alors référencés comme une même communauté de marchands. Leur prospérité, due à la constitution de réseaux et à leur facilité à se faire une place économique, suscite admiration et méfiance.
Si l’on observe la carte des principaux foyers de l’émigration marchande savoyarde dans la première moitié du XVIIIe siècle dressée par Chantal et Gilbert Maistre et la liste des émigrés savoyards en Bavière et dans l’Empire aux XVIIe et XVIIIe siècles[23], force est de constater que les localités d’origine des Tarins sont identiques à celles où la frontière est portée. Ainsi, les communes où l’émigration a été massive ou forte sont Valezan, Séez, Sainte-Foy, et Peisey et celles où elle a été substantielle Longefoy, Bellentre, Les Chapelles, Landry, Villaroger, Montvalezan.
La liste des émigrés ajoute à leur origine leur destination. Pour le XVIe siècle : Claude Blanc d’Hauteville-Gondon est cité en 1591 à Straubing (Ratisbonne, Bavière). Pour le XVIIe siècle : Les Chardon de Landry Jean cité en 1615 (60 ans) et François cité en 1624 à Augsbourg (Bavière) ; Anselme Jarre de La Chapelle (Les Chapelles) cité en 1650 à Augsbourg (Bavière) ; Nicolas Empereur-Buisson de Sainte-Foy cité en 1693 à Landau (Palatinat) ; Pierre et André Buisson de Villaroger cité en 1994 à Landau (sud de Ratisbonne Bavière) ; Les Cléaz de Bellentre : Jean-François (mort en 1697) à Augsbourg (Bavière), André (1663-1745) à Ratisbonne (Bavière).
Ces localités et ces régions d’implantation, mais aussi les principaux foyers d’itinérances des Tarins roulants, ont permis de mettre en valeur pour la période qui correspond aux premières mentions connues de la frontière, des similitudes de mode capillaire qui sont sans équivoques[24]. La constitution d’un corpus iconographique abondant a été rendue possible par la mise en ligne des collections des institutions culturelles européennes, musées et bibliothèques essentiellement, et par un certain nombre d’études disponibles en français sur le vêtement féminin en Allemagne et en Alsace du XVIe au XVIIIe siècles[25].
2.2 De Frise en Tarentaise, la mode du « front pointu »
Les coiffes à becs, vraisemblablement adoptées dès le XVIe siècle dans une grande partie de l’Europe, sont attestées en Frise, dans le Palatinat, en Suisse[26] et Haute-Souabe, en Flandre, aux Pays-Bas, en Alsace, zones d’influence germanique et jusqu’en Savoie. Elles se rencontrent ainsi sous des noms variés et des formes ou matériaux qui évoluent dans le temps et l’espace. En Lorraine, dans les Hautes-Alpes des formes de bonnets à trois pointes, mais moins prononcées sont également connues par l’iconographie[27].
Le terme allemand le plus employé semble celui de schnabelhaube dans les Grisons en Suisse (Bergell, Schanfigg, Rokokotracht der Surselva) et dans le Magdeburg-Borde en Allemagne[28] (Saxe)… Des variantes apparaissent également : Schneppenhaube en allemand, Schnäpper, Schneppe, Schnäppenhub en dialecte alsacien[29].
En français, elle est dénommée coiffe ou bonnet à bec, et frontière pour la seule Savoie, Capetsch en romanche (Suisse), ce nom étant issu de la dénomination capa cun pez littéralement petite coiffe avec bec.
L’histoire de ces coiffures, leur inscription dans les costumes régionaux et leur persistance dans les costumes de certains groupes folkloriques ne peut se penser aujourd’hui qu’à l’échelle européenne si l’on souhaite en saisir les courants de diffusion, les influences, les évolutions et les lieux de conservation. Les collaborations et le réseau structurés par le GIS ACORSO et ses partenaires faciliteront cette recherche qui promet d’être foisonnante.
Chargée de la thématique s’habiller dans le cadre du projet de rénovation
Musée Savoisien
Département de la Savoie (Chambéry – France)
[1] « On porte la frontière sur toute la rive droite de l’Isère, depuis Sainte-Foy jusqu’à Hautecour, et sur la rive gauche, depuis Villaroger jusqu’à Longefoy. Dans les autres communes, c’est-à-dire Les Brévières, Tignes et Val d’Isère pour la Haute-Tarentaise, Notre-Dame-du-Pré et Saint-Marcel pour les localités de la rive gauche de l’Isère immédiatement en amont de Moûtiers, la Frontière fait place au bonnet ». Joseph Viguier, « Le costume de Tarentaise », dans Recueil des mémoires et documents de l’Académie de la Val d’Isère, Moutiers 1956, p.52.
[2] « Progressivement s’impose l’image d’un costume traditionnel de Savoie qui, aux yeux des étrangers à la province, est celui que l’on porte en Haute-Tarentaise » Estella Canziani, Costumes traditions and songs of Savoy, London, Chato &Windus, 1911, 180 p. adapté de l’anglais par Arnold Van Gennep, Costumes, mœurs et légendes de la Savoie, Chambéry, Dardel, 1920.
[3] Eric Hobsbawm et Terence Ranger (en) (dir.), L’Invention de la tradition, Éditions Amsterdam, Paris, 2006 (éd. Originale : The Invention of Tradition, 1983). Extrait publié individuellement : Eric Hobsbawm, « Inventer des traditions », traduit et publié in Enquête, « Usages de la tradition », 1995, [lire en ligne [archive]].
[4] Françoise Gonguet, présidente de l’union des groupes folkloriques de la Savoie, membre du groupe folklorique « les frontières de Bourg-Saint-Maurice » (entretiens conduits par le Musée Savoisien en 2016)
[5] Christiane Michel, « Originalité de la coiffure dans le costume des femmes en Haute-Tarentaise, un essai de réponse sur l’origine de cette coiffure » dans La vie quotidienne en Savoie, acte du VIIe congrès des Sociétés Savantes de Savoie, Conflans, 1979, p.81-101
[6] « Le plus souvent, surtout en Haute-Tarentaise, elles n’en n’ont d’autres que leurs cheveux, divisés par-derrière en deux tresses égales qu’elles relèvent, vers le milieu de la tête, avec des rubans ou des fleurets de couleurs, et qui, bien étirés sur le front, sont recouvertes d’une espèce de bandeau à trois pointes, dont l’un répond au milieu du front et les autres aux oreilles ; le bandeau est d’un drap fin, ordinairement d’écarlate, orné de franges en or ou en argent. Cette coiffure est celle des jours de fête : aux jours ouvriers, les femmes ont la tête enveloppée d’un simple mouchoir. » Statistique générale de la France : département de Mont-Blanc M. de Verneilh, Paris 1807, p.289.
[7] Daniel Dequier, François Isler, Costumes de Savoie, Tarentaise, Beaufortain, Val d’Arly, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 1997, p.158
[8] Daniel Dequier, François Isler, Costumes de Savoie, Tarentaise, … op. cit,, p.158
[9] Image reproduite dans Chantal et Gilbert Maistre, Traces des migrations marchandes savoyardes Cahiers du Vieux Conflans n°180, Albertville, 2019, p94,
[10] Germain Pont ; La Tarentaise historique, monumentale, orographique et pittoresque, avec notes sur ses richesses naturelles, imprimerie M. Cane (Moutiers), 1876, p.56
[11] Congrès scientifique de France, 30e session tenue à Chambéry en 1863, séance du 14 août rapportée par l’abbé Ducis, p.552-553.
[12] Joseph Viguier, « Le costume de Tarentaise », op. cit. p. 56 « elles ont un bec de corbeau fixé au-dessus du sommet de la tête et qui s’avance beaucoup devant le front, au-dessus duquel bec de corbeau elles mettent un voile qu’elles étalent et qui donne de l’ombre à la face, et elles s’en servent aussi pour l’ornement. Elles portent aussi un petit tambour qui est rond vers l’occiput et serre la tête jusqu’aux oreilles et ensuite s’étend en bas et en largeur ; elles épilent la partie du front qui est près des cheveux, pour qu’elle ait la blancheur du front ; enfin, elles attachent à leur tête un petit pilier de la longueur d’un pied, en enroulant les cheveux autour et l’entourant lui-même d’un voile noir… »
[13] Christiane Michel, « Originalité de la coiffure …, op cit.
[14] Joseph Viguier, « Le costume de Tarentaise », op. cit. p.63 : « on représenta une fête folklorique qui se déroulait, si mes souvenirs sont précis, à Oldenbourg (Basse-Saxe, Allemagne). On vit à un certain moment un groupe de jeunes filles de la Frise portant le costume des villages de cette région. […] je me rappelle parfaitement avoir admiré trois jeunes filles qui portaient comme coiffure, on peut dire, « la frontière », presque la même que celle de Tarentaise. Peut-être le « Bec de corbeau » dont parlait Strabon était-il plus accentué, c’est-à-dire, plus large et descendant davantage sur le front, quant au reste, c’était identique. J’avais été, il me souvient, absolument saisi de ce rapprochement et de cette ressemblance. Remarquez au surplus que ce serait contrôlable, vérifiable, et il me semble que l’on pourrait tirer de cette constatation des déductions intéressantes. C’est de la Frise que sont parties les premières migrations celtiques. » Voir par exemple : https://www.beekscheepers.de/de/
[15] « Par une coïncidence curieuse, le bas-relief antique de Nigria Marca, à Villette, s’orne d’une coiffure qui n’est pas sans analogie avec la gracieuse frontière à trois pointes en usage dans tout le canton d’Aime, dans presque tout le canton de Bourg-Saint-Maurice et dans quelques communes de celui de Moûtiers, c’est-à-dire en plein cœur historique et géographique de la Tarentaise. » in Henri Onde, « La nature du peuplement en Maurienne et en Tarentaise. – Les hommes et les types humains (suite) », in Revue de géographie alpine, Grenoble, 1942, Tome 30 n°1. p. 118.
[16] Etienne-Louis Borrel, Les monuments anciens de la Tarentaise (Savoie), Paris, 1884, p. 59 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k29839s/f53.item.r=Nigria.texteImage ; note manuscrite de Borrel transcrite par M. Hudry, voir note suivante.
[17] Marius Hudry, « Les costumes savoyards, étude et recherches », in Cahiers du Vieux Conflans, Albertville, n°98, 3e trimestre 1973, p.53 « nous citons le passage de Borrel en entier bien que ce qu’il dit de l’origine de la frontière paraisse peu probable » et note (11) de cette même page où il décrit le monument conservé au Musée lapidaire de la basilique Saint-Martin d’Aime et conclut « cela met un sérieux doute sur l’ancienneté romaine de cette coiffure »
[18] Félix Despine, Promenade en Tarentaise : description des localités, des sites, des curiosités et des richesses naturelles de cette contrée, suivies de notes statistiques et historiques, , Moutiers, 1865, p.33
[19] Gérard Collomb, Ivan Cadenne, Louise Alcan, « Vêtements et costumes dans la Savoie traditionnelle », in L’Histoire en Savoie, Noël 1983, S.S.H.A., 1983, 168 p.
[20] F. Boucher, Histoire du costume en occident, Paris, 1996, p.262
[21] P. GUICHONNET, « L’émigration alpine vers les pays de langue allemande ». Revue de Géographie Alpine, 1948, 1.1, p. 533-576 https://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1948_num_36_4_5443
[22] P. GUICHONNET, op. cit. p.551 note 60 : « l’émigration mercantile entraînait parfois, l’existence d’un commerce de retour. Les habitants de Chamois (Val d’Aoste) vendaient aux foires de la Saint-Ours, à Aoste, les bonnets de laine et les chapeaux rapportés de Coire et de Saint-Gall, où ils commerçaient ; ceux de Gressonney trafiquaient, de velours de Constance, ou de toileries et tissus de Lindau »
[23] Chantal et Gilbert Maistre, Georges Heitz, « Colporteurs et marchands savoyards dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles », in Mémoires et documents de l’académie Salésienne, Annecy, 1992, p. 24 (carte), p.227 Annexe VI (liste).
[24]« Il s’avère toutefois que, malgré le rattachement de l’Alsace et l’influence des modes du royaume de France, le jeu des influences germaniques pèse de tout son poids dans l’espace rhénan. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les représentations des bicornes, des bonnets de fourrure et des coiffes à becs sur les gravures, les portraits et les peintures votives des 17e et 18e siècles. Aussi les vêtements portés ne témoignent-ils guère d’une identité proprement « alsacienne ». Léone Prigent, « La perception du vêtement féminin des élites et des classes populaires à Strasbourg, Mulhouse et Colmar (XVIIe-XVIIIe siècle). Image de soi, image de l’autre », in Revue d’Alsace [En ligne], 134 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2008, URL http://journals.openedition.org/alsace/1426 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.1426
[25] Et parmi les plus récentes disponibles en français : Léone Prigent, La perception du vêtement féminin des élites et des classes populaires à Strasbourg, Mulhouse et Colmar (XVIIe-XVIIIe.siècles) Image de soi, image de l’autre. Thèse d’histoire moderne présentée à l’université Marc Bloch de Strasbourg, sous la dir. De J.-M. Boehler, 2 vol. 2007-2008 (Bibliothèque universitaire de Strasbourg). Stéphanie Chapuis-Després, Femmes et féminité dans la société allemande (XVIe-XVIIe siècles) : Normes, pratiques et représentations, thèse pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS SORBONNE ET DE L’UNIVERSITÉ DE LA SARRE, Études Germaniques, présentée et soutenue le 29 septembre 2014. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01146386/document
[26] Soleure par exemple : https://www.mucem.org/collections/explorez-les-collections/objet?uri=http://data.mucem.org/c/4076258&term=2005.14.22&object_pos=0&object_max=77
[27] Coiffe de St Véran, dans la photothèque du MUCEM Ph.1943.86.457 https://www.mucem.org/collections/explorez-les-collections/objet?uri=http://data.mucem.org/c/3208712&term=1943.86.457&object_pos=0&object_max=0
[28] Importante collection de pièces conservée au Börde-Museum Burg d’Ummendorf https://st.museum-digital.de/index.php?t=serie&serges=264 ; analyse dans le catalogue du musée par Sabine Vogel : http://www.boerde-museum-burg-ummendorf.de/.cm4all/uproc.php/0/Museumsshop/SammlungsSt%C3%BCcke_Hefte/SammlungsSt%C3%BCck_Heft_2.pdf?cdp=a&_=17283a88558 p. 12
[29] Quelques paillettes, un peu de soie… Coiffes d’Alsace du XVIIIe et du début du XIXe siècle, Colmar, musée d’Unterlinden, 21 novembre 2009 – 28 février 2010 et Anne Wolf et Jean-Luc Neth (eds), Quelques paillettes, un peu de soie. Coiffes d’Alsace du XVIIe et du début du XIXe siècle, Colmar, Musée d’Unterlinden, 2009, 191 p.